La Mauresse de Moret

La Mauresse de Moret

La Mauresse de Moret est le nom sous lequel on désigne communément Soeur Louise-Marie de Sainte-Thérèse, une religieuse qui vécut à la fin du 17e siècle et au début du 18e au couvent de Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne).

Sa particularité était non seulement sa couleur de peau (plus ou moins sombre selon les trois portraits que nous avons d’elle) mais aussi sa ressemblance avec le roi de France, si l’on en croit Voltaire qui la rencontra vers 1719.

Le portrait principal de la Mauresse, réalisé d’après nature par le peintre Pierre Gobert(1662-1744) , dont la fille, également religieuse à Moret, était une amie de la Mauresse, a été retrouvé au musée de Remiremont (Vosges).

Une inscription au dos du cadre laisse peu de doutes sur les liens de la religieuse et de Louis XIV : « la princesse noire religieuse à Morey, donné par Mme de Mercy (la supérieure du couvent de Moret) à ma tante… »

mauresse4

 

Une fille présumée de Louis XIV

 

Autre portrait authentifié de la Mauresse (rajeunie) conservé au musée de Melun (également attribué à Pierre Gobert ) et peint vers 1720.

 

 

 

Certains chroniqueurs évoquent un scandale au Louvre le 16 novembre 1664 lorsque la reine de France, Marie-Thérèse, aurait accouché publiquement, selon l’usage, d’une petite fille « un peu moresque ». Les faits sont évoqués par plusieurs mémorialistes, mais certains historiens, probablement poussés par des préventions racistes, ont cherché, pendant plus de trois siècles, à les écarter sans examen sérieux.

Selon ces mémorialistes, la reine aurait eu à son service un jeune page d’origine africaine dont la petite taille ne nuisait ni à la beauté, ni à l’esprit. C’était « un petit maure fort joli »  et « bien fait dans son espèce de nain et de maure » si l’on en croit Mademoiselle de Montpensier, cousine du roi.

La souveraine aurait-elle pu préférer au roi-Soleil un bouffon, noir de peau et nain de surcroit ?

On a dit également que le 17 février 1664 – neuf mois jour pour jour avant cette naissance remarquée – la reine aurait reçu une lettre (imitant l’écriture du roi d’Espagne) l’informant qu’elle était trompée.

Il était par ailleurs communément admis, à une époque où les lois de la génétique restaient à découvrir, qu’une forte émotion causée à une femme enceinte pouvait influer sur le nouveau-né. On tenait donc pour vraisemblable que le jeune homme de compagnie ait pu s’amuser à faire peur à la reine, et que cela ait pu influer la couleur de l’enfant.

Quel que soit le père réel, le père juridique, c’était le roi de France.

La princesse fut déclarée décédée le 26 décembre 1664 dans La Gazette de France, le journal officiel de l’époque.

Quant au jeune Africain facétieux, il aurait disparu mystérieusement et fort opportunément.

Ce qui est certain, c’est qu’une vingtaine d’années plus tard, on remarqua, au couvent de Moret-sur-Loing, une pensionnaire à la peau brune, à laquelle la famille royale allait rendre de fréquentes visites, sous le prétexte de séjours au château tout proche de Fontainebleau.

La pensionnaire avait pris le nom de Louise-Marie-Thérèse (les prénoms du roi et de la Reine).

Et lorsque la demoiselle prononça officiellement ses voeux, la famille royale et la Cour se déplacèrent.
On pourrait soutenir que ce sont là des inventions si Madame de Maintenon n’avait écrit le 30 septembre 1695 cette lettre peu ambiguë :

« Je donnerai, un de ces jours, le voile à une maure qui désire que toute la cour soit à la cérémonie; je proposais de le faire à porte fermées; mais on nous a dit que ce serait une nullité à ces voeux solennels; il faudra se résoudre à voir rire le peuple. »

Difficile, dès lors, de mettre cette histoire au compte de la rumeur d’autant que Voltaire lui-même, qu’on ne saurait soupçonner de négrophilie, réussit à s’introduire dans le couvent et à « interviewer » la religieuse. Il en conclut – dans son ouvrage Le Siècle de Louis XIV – que c’était le portrait craché du roi .

Il en aurait fallu beaucoup moins pour que l’affaire devienne un des sujets les plus discutés de l’histoire de France.

Une énigme peut en cacher une autre puisqu’un historien a soutenu que le jeune page aurait été arrêté et incarcéré à la citadelle de Pignerol, au fort Sainte-Marguerite puis à la Bastille sous le nom d’Eustache Danger, et que ce serait lui qui serait à l’origine de l’histoire du masque de fer.

Un portrait de la religieuse est conservé à Paris à la bibliothèque Sainte-Geneviève qui détient également un dossier intitulé : « Papiers concernant la Moresque, fille de Louis XIV« .

mauresse

le portrait de la bibliothèque Ste-Geneviève, copie probable des deux portraits de Gobert

 

 

 

 

 

Le filigrane du papier révèle que ce dossier a été établi après 1742. Il s’agit d’un papier utilisé au couvent de Moret. L’écriture est probablement celle de l’abbesse, ce qui ne laisserait guère de doute quant à la paternité du roi.

Personne ne sera surpris qu’il soit vide.

papiers concernant la Mauresque

 

Pour certains historiens, dont Serge Aroles, auteur d’un livre à paraître sur le sujet, riche de documents inédits, la Mauresse serait une fille que Louis XIV aurait eue avec une Afro-descendante ou une Africaine.

Cette explication pourrait être la clé de l’énigme.

La mort de la princesse est attestée par de nombreux témoins, dont un témoin oculaire, Laurent Bouchet (1618-1695) le vicaire de Saint-Germain-l’Auxerrois  (la paroisse du Louvre) . Bouchet, qui fut ensuite curé de Nogent-le-Roi, affirme avoir assisté aux derniers moments de la princesse.

Son témoignage est d’autant plus sérieux qu’il ne nie pas que la petite fille était « un peu moresque », ce qui peut s’expliquer par des difficultés liées à l’accouchement.

 

document mort princesse Marie-Anne

 

… La fille du Roy que j’assistai à sa mort…

… de 40 jours. Elle estait un peu moresque…

… Un nez applati et des grosses lèvres…

… La Reyne aurait regardé de petits Mores que M…

… [de Beaufor] t avait amenés d’Affrique après la prise de  Gigery [auj. Jijel, Algérie]…

 

Il est également attesté que Bontemps, premier valet de chambre du roi se serait secrètement rendu à Moret peu de temps après cet événement (en juin 1665).

 

Un document inédit atteste du déplacement secret (et tout à fait inhabituel) de Bontemps (l’homme de confiance de Louis XIV) à Moret l’été 1665.

Bontemps à Moret

Au sieur Bontemps l’un des premiers valets de chambre du Roy la somme de deux cents livres que Sa Majesté lui a ordonnée pour avoir esté de St-Germain-en-Laye à Moret pour affaire concernant le service de Sa Majesté…

Un autre document atteste que Bontemps s’est également rendu à la même période à Fontevrault, l’abbaye où l’on mettait en pension les princesses royales (Louis XV y enverra ses 4 filles).

Fontevrault ? Moret-sur-Loing ? Pour aller y cacher la princesse qui, en réalité, aurait survécu ? Telle est la thèse de Saint-Simon.

Ou peut-être pour y cacher une autre petite fille qu’il fallait soustraire aux regards de la cour.

Ainsi, plusieurs documents inédits laissent penser que la petite princesse serait bien décédée. Mais n’aurait-elle pas survécu ?

Louis XIV se serait-il affolé parce que l’apparence « mauresque » de cette enfant avait fait naître une rumeur de métissage dans la famille royale susceptible de lever le voile sur un secret ?

Le roi lui-même aurait-il eu un ou plusieurs jeunes enfants métis qu’il se serait senti obligé de cacher ?

Un nain est bien signalé à la cour à cette époque, mais dans l’entourage du roi. La noyade troublante dans la Seine, près de Saint-Germain-en-Laye, d’un nain « qui suivait la cour » l’été 1665 n’est pas sans intriguer. D’autant que cesse alors, comme par miracle, une indisposition physique dont le roi souffrait depuis janvier, selon son médecin. Le « tournoiement de tête » de Sa Majesté pourrait bien être lié au stress occasionné par cette histoire qui, peut-être, a coûté la vie à un nain qui était hors de cause.

La religieuse de Moret, née entre 1660 et 1675, serait morte aux alentours de 1731.

Pour aller plus loin, voir Soeur Louise-Marie de Sainte-Thérèse dans le livre de  Claude Ribbe Une Autre Histoire Paris, 2016, Le cherche midi éditeur

 

 

5 réactions au sujet de « La Mauresse de Moret »

    1. Justement, les préjugés actuels de la France poussent à faire croire que la reine s’est tapée un nain noir. Alors que la réalité est que le roi était amoureux d’une noire qui lui a donné deux filles…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

x Close

Une Autre Histoire

Social Share Buttons and Icons powered by Ultimatelysocial
RSS
Facebook
Facebook