L’affaire Angot

L’affaire Angot

L’Affaire Angot

Lors de l’émission de grande écoute « On n’est pas couché » coproduite (avec Catherine Barma) et animée par Laurent Ruquier, enregistrée au studio Gabriel le 30 mai 2019 et diffusée sur la chaîne publique France 2 le samedi 1er juin 2019, l’une des chroniqueuses de l’émission, la romancière Christine Angot, a implicitement accusé d’antisémitisme les descendants d’esclaves soucieux d’honorer la mémoire de leurs ancêtres en les accusant de provoquer une concurrence des mémoires). Par la suite, elle a tenu, à propos de l’esclavage et de la déportation des Africains, dans une séquence destinée à faire la promotion d’un ouvrage du journaliste Franz-Olivier Giesbert, des propos qui ont provoqué un énorme scandale :

« Les juifs, pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer, c’est-à-dire de les tuer. Et ça introduit par exemple une différence fondamentale, alors que l’on veut confondre, avec par exemple l’esclavage, l’esclavage des noirs, envoyés aux États-Unis, etc, ou ailleurs… C’était exactement le contraire : l’idée c’était au contraire qu’ils soient en pleine forme…

[Franz-Olivier Giesbert (hochant la tête pour approuver) : Qu’ils soient en bonne santé, bien sûr !]

…qu’ils soient en bonne santé pour pouvoir…

[Franz-Olivier Giesbert : Travailler au maximum, ouais !]

… pour pouvoir les vendre et qu’ils soient commercialisables. Donc non, ce n’est pas vrai que les traumatismes sont les mêmes, que les souffrances infligées aux peuples sont les mêmes. »

Comme on le voit dans l’extrait de l’émission ci-dessous, l’invité, Franz-Olivier Giesbert, dont Christine Angot faisait la promotion du livre, approuve totalement, en hochant la tête, les propos tenus par la chroniqueuse sur l’esclavage. Bien plus, il lui sert de souffleur, comme si elle n’en disait pas assez.

Il convient de rappeler que Franz-Olivier Giesbert a été condamné en janvier 2014 pour « diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur nationalité chinoise », ce qui l’a conduit à démissionner de son poste de directeur de la publication de l’hebdomadaire Le Point.

L’animateur de l’émission, Laurent Ruquier, n’intervient pas.

L’émission ayant été préenregistrée, l’animateur-producteur a maintenu au montage la séquence problématique, qui a été approuvée par le diffuseur -France Télévisions- après visionnage.

Les propos de Christine Angot ont provoqué un torrent de réactions indignées, dont 1000 signalements au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

L’un des signalements a été fait par Annick Girardin, ministre des Outre-mer.

Le 5 juin, l’association des amis du général Dumas, présidée par l’écrivain Claude Ribbe, qui organise la commémoration du 10 mai, depuis 2009 à Paris et depuis 2014  à Villers-Cotterêts (les deux manifestations étant placées, depuis 2018, sous le haut patronage du Président de la République) a transmis une plainte au Procureur de la République de Paris pour apologie du crime de réduction en esclavage (article 24 de la loi de 1881).

De son côté, Olivier Serva, député de la Guadeloupe et président de la délégation Outre-mer de l’Assemblée nationale, avait signalé les faits au parquet.

La cuisinière Babette de Rozières, conseillère régionale d’Ile-de-France, a exprimé sa vive réprobation le 5 juin sur TV5 Monde.

La présidente de France-Télévisions, Delphine Ernotte, n’a, pour sa part, pas réagi.

Dans un post mis en ligne le 6 juin, Claude Ribbe s’était étonné du silence et de l’inaction du président du GIP pour la mémoire de l’esclavage.

En réaction,  Jean-Marc Ayrault a adressé le 7 juin une lettre ouverte à Delphine Ernotte la mettant directement en cause, de même que Laurent Ruquier puisqu’elle précise que les propos de Christine Angot n’auraient pas dû être diffusés.

De leur côté, Laurent Ruquier et Franz-Olivier Giesbert ont soutenu les propos de Christine Angot en déclarant que le tollé qu’ils ont provoqué n’était qu’une polémique « inutile » pour l’un, « lamentable » pour l’autre.

Laurent Ruquier a vainement tenté d’étouffer l’affaire et d’éviter tout dépôt de plainte en invitant, à l’émission diffusée le 8 juin, pour un  « droit de réponse » réconciliateur, en présence de Christine Angot, Frédéric Régent, le président du comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE) nommé en 2016 par François Hollande , Serge Romana, qui – prônant une « mémoire apaisée »- se présente comme étant à l’initiative de la fondation « esclavage et réconciliation« , financée par des Békés de la Martinique représentant les principales familles qui furent esclavagistes et détiennent aujourd’hui de puissants leviers économiques et Dominique Sopo, président de SOS Racisme.

Cependant, des appels à boycotter l’émission ONPC (ne pas y participer et surtout ne plus la regarder) et à s’en tenir à une réponse judiciaire ont circulé sur les réseaux sociaux.

Comme on pouvait s’y attendre, la séquence – surtout destinée à donner un droit de réponse à Christine Angot et à tenter de faire jouer aux trois invités,  un rôle complaisant de faire-valoir- a été diffusée en fin d’émission, à une heure de faible audience, et n’a rien changé à l’affaire.

Christine Angot, sous la pression, avait présenté des excuses le 4 juin, regrettant de n’avoir pas su « trouver les mots » pour se faire comprendre, sans pour autant remettre en question sa vision hiérarchique des souffrances et des crimes contre l’humanité.

L’appendice à l’émission du 8 juin n’était qu’une occasion de lui permettre de réitérer ses excuses précédentes.

« J’ai voulu rapprocher les deux crimes contre l’humanité que sont l’esclavage et la Shoah, tout en prenant soin de de spécifier la différence fondamentale de méthode dans la déshumanisation, d’un côté exterminer les personnes, de l’autre leur retirer leur humanité pour en faire des objets de commerce qu’on achète et qu’on vend. L’expression ‘en bonne santé’ était cependant absurde. Je suis bien consciente que de nombreux esclaves ont été tués et que le propriétaire exerçait sur eux un droit de vie et de mort. Indifférencier les souffrances infligées par ces crimes me paraît dangereux. L’indifférenciation pouvant conduire à l’indifférence. Je n’ai pas su trouver les mots. Je le regrette. Mon travail est de me faire comprendre. Je m’excuse d’y avoir échoué. Il me tenait à coeur d’éloigner la concurrence victimaire dont certains jouent. « 
– Christine Angot, communiqué de presse, 4 juin 2019. 

Elle n’est pas revenue sur l’idée que l’esclavage, tel qu’il fut pratiqué à l’encontre des Africains, était « exactement le contraire » d’une mise à mort de masse.

Pourtant, les historiens estiment que pour un esclave arrivant aux colonies, cinq Africains trouvaient la mort an cours des opérations de traite et de déportation.

Les chiffres retenues pour la traite atlantique oscillant autour de 12 millions d’esclaves débarqués, on arrive à la conclusion  que l’esclavage a fait plus de 30 millions de morts en Afrique sur le seul critère du racisme.

En outre, l’espérance de vie d’un esclave aux colonies était d’environ 5 ans, comme le rappelle Alexandre Dumas dans un texte particulièrement détaillé.

Si la finalité de l’esclavage n’était pas de tuer l’esclave sans le faire travailler, n’était-elle pas de le tuer au travail ?

Sans parler, lors de la tentative de rétablissement de l’esclavage par Napoléon, de l’extermination d’une partie de la population haïtienne en 1803-1804 – y compris par gazage – sous le seul critère de la couleur de peau.

Quoi qu’il en soit, il ne peut y avoir d’esclavage de masse visant une population donnée sans tuerie au moins collatérale de masse. En ce sens, l’esclavage visant les Africains est bien évidemment inséparable du génocide qui l’accompagna nécessairement.

En 2015, la chanteuse Joëlle Ursull avait fait à François Hollande les mêmes reproches que ceux qui ont été adressés en 2019 à Christine Angot. Mais comme l’intéressé était Président de la République, beaucoup de gens avaient fait semblant de ne pas avoir entendu. Certains membres du gouvernement avaient pris la défense du Président avec des arguments analogues à ceux de Christine Angot, ce qui démontre bien que le mal est profondément enraciné.

article 24 de la loi sur la presse de 1881 (version en vigueur au moment des propos tenus par Christine Angot)

« Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent [dont la télédiffusion] auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, y compris si ces crimes n’ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° Sauf lorsque la responsabilité de l’auteur de l’infraction est retenue sur le fondement de l’article 42 et du premier alinéa de l’article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l’article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;

2° L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal ;

3° La peine de stage de citoyenneté prévue à l’article 131-5-1 du code pénal.

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