Rabbins, esclavage, et malédiction de Cham

Rabbins, esclavage, et malédiction de Cham

La malédiction de Cham (reportée sur Canaan) n’a rien à voir, dans le texte de la Bible, avec la couleur de la peau.

Le premier élément connu qui portera ensuite à lier cette malédiction au préjugé de couleur, apparaît dans un commentaire rabbinique de la Bible de la seconde moitié du Ve siècle après JC, dont l’auteur est anonyme.

Il s’agit du Midrash Rabba, recueil de commentaires de rabbins sur la Torah (désignation des cinq premiers livres de la Bible dans la religion juive).

On y soutient que Cham aurait commis une première faute dans l’Arche, en ayant un rapport sexuel avec sa femme, ce qui aurait été interdit (les sexes étant séparés).

Il aurait été puni pour cette désobéissance en devenant noir de peau.

Ainsi n’est-il pas douteux que l’inventeur de cette histoire considérait le fait d’avoir la peau sombre comme un désavantage qu’il explique ainsi par une malédiction.

Cette fable absurde n’aurait guère eu d’importance si elle n’avait été reprise à partir du 15e siècle pour la fusionner avec la faute de Cham par rapport à Noë et avec la malédiction de Canaan, tel que les rapportent le texte biblique. Et, dès lors, la confusion volontaire de ces trois éléments : copulation dans l’arche, découverte de la nudité de Noë, malédiction sur Canaan lui imposant l’esclavage à lui et à sa descendance, aboutissent à déclarer les Africains naturellement esclaves et du même coup naturellement livrés à la débauche.

Cette légende a été popularisée par le rabbin polonais Jacob Ben Isaac Ashkenazi (1550-1625) dans son Commentaire sur la Torah.

Les esclavagistes s’étaient déjà emparés, au 15e siècle, de la fable exposée dans le Midrash Rabbah.

Elle fut réactualisée au 17e siècle – pour les besoins de la cause – à partir de la compilation de Ben Isaac Ashkenazi. On fit circuler cette explication dans toutes les colonies, et en particulier dans les colonies françaises, où de très nombreux colons – originaires du Portugal, via la France, la Hollande et le Brésil – étaient encore extrêmement imprégnés de la tradition israélite, bien qu’ils soient officiellement chrétiens. Ils n’eurent d’ailleurs pas d’autre choix après l’entrée en vigueur du Code noir (1685) qui légalisait (article 1) l’expulsion des juifs de toutes les colonies françaises.

Il faut savoir que l’industrie du sucre a été introduite aux Antilles – et en particulier aux Antilles françaises – par les Hollandais, originaires du Portugal, qui étaient à la fois porteurs de cette tradition rabbinique et des secrets de l’utilisation de la canne à sucre.

Ce sont les Portugais qui ont implanté la culture de la canne à sucre dans les îles nouvellement colonisées -et notamment à Madère – et qui ont commencé à utiliser des Africains comme esclaves, dès le 15e siècle.

Les juifs ont été expulsés d’Espagne en 1494, et du Portugal en 1496. Par la suite, ils n’eurent pas d’autre choix que d’être officiellement catholiques, tout en restant secrètement fidèles à leur tradition religieuse. Ces nouveaux catholiques furent appelés les « Marranes ». L’Inquisition les persécuta. Ils furent nombreux, à la fin du 16e et au début du 17e siècle, à émigrer en France – notamment à Bordeaux, La Rochelle et Nantes – en Hollande, via la l’actuelle Belgique, et au Brésil.

De nombreux historiens conviennent que les premiers plants de canne à sucre auraient été apportés au Brésil depuis Madère par des Portugais -des Marranes – en 1548. Il est probable que les commentaires rabbiniques sur la Bible sont arrivés en même temps pour justifier l’esclavage.

Les Hollandais – pour la plupart des Marranes réfugiés en Hollande et passés au Brésil- furent chassés du Brésil en 1654 par les Portugais et se partirent pour les Antilles, où ils furent les pionniers de la culture de la canne à sucre.

Des liens commerciaux et familiaux très forts unissaient les « Portugais » des ports négriers français, les Hollandais et les colons des Antilles.

Un exemple en est fourni par la famille Bologne – dont est issue, par son père, le chevalier de Saint-George – originaire du Brésil, établie en Guadeloupe, mais également implantée à Rotterdam et à La Rochelle.

Il est assez probable que cette famille, officiellement catholique, et qui réussit, grâce à sa fortune, à être assimilée à la noblesse française catholique au 18e siècle, était en fait de tradition israélite.

Il est, d’ailleurs intéressant de noter que le père du chevalier de Saint-George, Georges de Bologne, n’avait aucun préjugé de couleur et que sa fille légitime, Elisabeth-Bénédictine aida la famille Louverture.

Même si l’invention de la malédiction de Cham est de tradition rabbinique, même si de nombreux « Portugais », de tradition juive – on ne peut le nier – ont été impliqués dans l’esclavage et dans la traite, rien ne justifie que la responsabilité de l’esclavage des Africains retombe sur la communauté juive en « racialisant » une faute.

Si une élite a profité du système, la majorité des juifs y étaient absolument étrangers. L’establishment français du 17e siècle, qui méprisait les juifs – officiellement expulsés du territoire français – s’est servi du savoir-faire et des capitaux d’une minorité de « Portugais » pour développer un système qui fut bien un système de signe chrétien – régulièrement dénoncé pour le principe par les papes – mais encouragé par le roi de France.

En clair, autant il est mensonger d’affirmer qu’aucun juif ne fut mêlé à la mise en esclavage occidentale des Africains, autant l’antisémitisme – qui est aussi une spécificité bien occidentale – ne peut être alimenté par le fait que des juifs ont participé à un crime, aux côtés d’une majorité de criminels qui, eux n’étaient pas juifs, et qui étaient probablement antisémites.

On comprendra aussi – et il n’est certainement pas inutile de le rappeler- que s’il est peu douteux qu’il y ait des juifs racistes et négrophobes, (de même qu’il y a eu des juifs antisémites, voire collaborateurs) cela ne signifie nullement que tous les juifs le soient.

Quoi qu’il en soit, de nombreux descendants d’esclaves continuent, par ignorance et par suite de l’invention d’un rabbin du Ve siècle reprise par un rabbin du 17e siècle,  à soutenir que la malédiction de Cham serait écrite « noir sur blanc » dans la Bible.

 

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